On voudrait nous apprendre à marcher en nous coupant les pieds

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Anonyme - 2005


Ce monde, c’est de la merde. C’est pas la première ni la dernière fois qu’on le dira. A bas l’Etat, le travail, le citoyennisme, le spectacle, l’abrutissement de masse, la vigilisation des espaces et des esprits, l’uniformisation de tout, des comportements, des relations, les enfermements, la généralisation des moyens de contrôle, de surveillance, de répression (etc., etc.). Si on en est là, c’est qu’existe, parmi tant d’autres horreurs étatiques, l’ECOLE, l’éducation nationale, l’institution scolaire L’école, avec la famille, le ciment de notre meilleur des mondes.

L’école, passage obligé.

L’école, c’est obligatoire, de fait. On y est à peu près tous allé. Plus ou moins longtemps, dans des établissements différents, mais on y est quasiment tous allé. Lycées ghettos, lycées d’élites. Ils sont beaux les fondements de l’école. L’Etat providence dispensant gratuitement, pour tous et de façon égalitaire, sagesse et connaissance universelle. Les connaissances élémentaires pour tout un chacun, les bases à connaître, les savoirs nécessaires à la vie en ville, les machins utiles, les trucs qu’il vaut mieux savoir faire, dire, taire si tu veux t’en sortir. Les machins que t’as intérêt à connaître, si tu veux pas crever trop seul, trop pauvre et pas totalement dépressif. Les trucs essentiels à la vie en société, à la vie de ceux qui te l’enseignent, tout ce que tu dois savoir pour gérer au mieux la façon de te faire baiser.

Lire - le verdict - Ecrire - dans les cases - Compter - le nombre d’années qu’il te reste à tirer.

Les façons d’être, de supporter le plus sereinement du monde, ton esclavage. Les modes de (non)pensée adaptés à cette blague nulle qu’est ta condition pourrie.

Les écoles, matrices à hordes de citoyens névrotiques et dévoués qui, comme ceux d’avant, assureront et défendront avec passion et conviction la survie et la pérennité de (ceux qui ont fait ce qu’il est de) ce monde. L’école mâche le travail aux keufs, publicitaires et autres crapules cyniques. L’école fabrique keufs, publicitaires et autres cyniques crapules. Les valeurs de l’école sont celles de la société haïe : travail, compétition, performance, fierté, ambition, soumission, obéissance, collaboration, délation... (etc., etc.)

Carotte, bâton, résultats efficaces.

Que devienne instinctif de ne rien comprendre. La fonction première de l’école est l’anéantissement moral de chaque individu passant entre ses mains.

A l’école, on travaille pour que dalle, tout le temps. A l’école on apprend à travailler et qui plus est, à défaut d’autre chose, à en faire sa raison d’exister... Quand ton but dans la vie devient de passer à l’année supérieure. Trimer et en redemander. Retenir par cœur, réfléchir par cœur. Apprendre à apprendre.

Dès la petite enfance, par des méthodes violentes et efficaces, l’individu est brisé, lentement mais sûrement : réveil trop tôt, trop froid, trop noir dehors. Six, huit heures par jour enfermé-e, assis-e, attenti-ve-f, silencieu-se-x. En rang deux par deux ou massé-e-s dans les couloirs. Présence obligatoire. Sonneries toutes les heures. Emploi du temps immuable, répétitif. Contrôle des connaissances, moyenne générale, "peut mieux faire", interro surprise, panique, retards non tolérés, punis, vices des profs, des pions, des autres. Elèves modèles complimentés, récompensés tous les jours. Insoumis, inadaptés, désintéressés ou autres, collés, jours après jours.

Après la maternité, avant les foyers, usines, bureaux, commissariats, armées, hôpitaux, cimetières, maisons de retraite, prisons, H.P... l’école c’est l’enfermement. En tant qu’enfant, l’élève, petit citoyen, n’est pas "libre". Ca n’existe pas évidemment la liberté (même pas dans la tête on est d’accord) mais en tout cas, là, c’est de limitation de mouvements (entre autres) dont il s’agit. Tous les matins, une fois passée la porte, tu es détenu-e, pour la journée sous la responsabilité de l’administration scolaire.

Tes parents sont obligés par l’Etat de te mettre à l’école. Gosse, tu réalises l’existence d’une autorité supérieure à la leur qui a prise sur toi et sur les autres. Si l’autorité de tes parents est souvent écrasante, celle-là semble insurmontable, impossible à remettre en cause. Tu flippes, tu chiales.

Tu ressens la peur parce que tu dois rendre des comptes. Comme un chien, tu te mets à redouter plus que tout la réaction de tes maîtres.

Encore plus fort que le père, le bâtard ultime, le président, le patron : le proviseur, détenteur du pouvoir absolu, qui ne te connaît pas (tout de suite) mais que tout le monde connaît, craint. Tu préfères te vautrer cinq fois de suite dans les escaliers que de devoir passer trois minutes dans son bureau.

L’école apprend la peur. A la matérialiser en soi. Peur de sortir du moule, désobéir. Peur de se faire punir, de décevoir les référents (profs et parents). Peur, une fois intégrée, indélébile, inscrite pour toujours au fond de chacun de nous. Peur du flic, de voler, de désobéir, de franchir les limites établies. Peur comme emprise. Peur puis tout accepter car désarmé, désamorcé.

Craindre et plébisciter ceux qui en sont à l’origine et qui disent en avoir l’antidote.

L’école fabrique en chacun l’illusion de la démocratie en apprenant aux gens à voter, élire des délégués censés les défendre et les représenter auprès des instances. Soi disant la seule façon de se faire "entendre". La mascarade habituelle, pour mieux te faire intégrer docilement ta condition pourrave : tu sais rien, tu n’es rien, rien qu’un élément d’une cargaison de gosses du même âge. "Et t’as de la chance de n’être rien, t’as de la chance d’aller à l’école". L’arbitraire comme principe. La résistance un composant électronique.

L’école, monde sur-règlementé, habitue les gens à se faire dépouiller d’eux-mêmes, contrôler, surveiller, compter, classer, enfermer, à en redemander. Malgré toi, tu te soumets à une multitude de formalités qui te font courber, et que tu en arrives presque à trouver justifiées. Ces habitudes qui ont déterminé ta façon de penser, de te résigner.

Souviens-toi, la rentrée, les premiers cours de l’année. Dans toutes les matières, chaque bâtard de prof qui te fait remplir ta propre fiche. Renseignements sur toi-même, tes parents. Comme tout le monde, tu te soumets à ce rituel. Tu livres, à des inconnus, des informations, honteuses des fois, personnelles en tous cas. Tu te rends pour commencer dans tous les cas.

Tu trouves normal de répondre à l’appel en début de chaque cours, d’être constamment surveillé-e, de ne pas être censé-e circuler à tel endroit à tel moment, d’avoir obligatoirement sur toi ce carnet de liaison. Tu te retrouves à faire la liaison entre deux pôles d’autorité, l’administration scolaire et la famille. T’es contraint-e d’informer ta famille des conneries que t’as pu faire la veille et des sanctions dont t’as hérité. On te met dans la situation de t’autodénoncer...

C’est parce qu’il n’y avait rien d’autre à foutre, parce qu’il n’y a rien à foutre d’intéressant à l’école, dans ce qu’on te propose. 1/4 d’heure de récréation pour 4 heures de classe. L’intérêt dans le fait de constamment censé-e être surveillé-e, c’est de tenter, dès que possible de déjouer cette surveillance, d’agir de façon déviante, en toute occasion. Et de s’en griser à s’en rendre dépendant. Foutre la merde pour son salut.

10, 15, 20, 25 ans à se faire arnaquer. Ça plus tout le reste.

PARCE QUE CA COMMENCE A L’ECOLE, COMMENCE PAR CRAMER TON ECOLE.

(dépêche, y’en aura pas pour tout le monde)


BlaBla

On_voudrait_nous_apprendre_à_marcher_en_nous_coupant_les_pieds_!


Vous pouvez déposer vos mots ici:

NadIne :

J’ai envie de dire tout net : je n’aime pas ce texte. Je me rend compte qu’en faire une critique détaillée me serait très fastidieux, car c’est le ton en lui-même que je n’aime pas.

Je n’ai rien contre la forme pamphlet; tous les styles sont bon à prendrer quand ils sont bien habités.

Mais justement, le pamphlet est une forme difficile; s'il opère des simplifications, c'est pour mieux faire voir; de là, on peut vite glisser dans le piège d’opérer des simplifications par paresse de la pensée.

Et ce faisant, le ton vif et mordant du pamphlet devient agressif. On ne peut plus rien voir, agressé qu’on est - à moins d’adherer pour échapper à l’agression; est-ce cela que veut l’écrivant ici ?

La critique de l’école et des horreurs adjacentes n’y gagne pas, mais pire, elle y perd.

Non ?


LiBre:

Alors disons le carrément j'aime bien ce texte ! et j'ai personnelement un besoin physiologique de propos corrosifs... Disons que ,je ne me retrouverais pas dans un ensemble homogène lissé par une critique purement cérebral . J'ai besoin de "coups de geule", de "coups de nerfs", d'une expression de rage (ne serait-ce que pour exorciser un peu la mienne...) Je pense que cris et analyses sont complémentaires et s'enrichissent mutuelement (pour moi ce texte parvient à équilibrer les deux ) J'ai autant besoin d'entendre : "on peut envisager d'autres rapports au savoirs que ceux de l'éducation nationale, observons les et critiquons les..." que "Ce monde c'est de la merde !" Voilà... ça me fait du bien .

Et, effectivement il y a un mystére sous certains textes du même ton (mais ce n'est pas le cas de celui-ci), selon qu'on se situe dans le "vous" des moutons ou des oppresseurs (du coup on aura le sentiment d'être agressé-s ) ou dans le "nous" des enragés ou des opprimé-es (auquel cas on aura parfois un sentiment de soulagement lié au fait de pouvoir lire tout haut ce qu'on pensait tout bas...) AU début certains textes de R.A.P ou par exemple (si vous connaissez...) l'affiche "ANTI FRANCE VAINCRA" me mettez mal à l'aise, parceque: 1° je suis un peu parano sur les bords 2° j'appartiens à une classe dominante (homme,blanc, occidental, adulte, privilégié culturelement...) 3° c'est bien l'objectif de ces textes de mettre mal à l'aise...

Maintenant que j'ai un peu mieux synchronisé mes idées et mes actes , j'aime bien la rage que ces textes exprime, j'aime bien la piqure de rappel qu'il constitue, qui m'evite de m'endormir dans la routine des jours dans le cauchemar faciste de notre époque !

(un petit texte d'H.Michaux en introduction de Epreuves ,exorcismes exprime ça mieux que moi...)


NadIne :

Moi aussi ça me fait du bien d'écrire "putain de monde de merde" et tout ce qui s'en suit sur des feuilles, parfois, et souvent, même, des fois.

De là à ce que ce soit pertinent pour d'autres...


Il est évident qu'on est en droit politiquement et stratégiquement de remettre en question la pertinence de:

  • l'expression d'une colère
  • un cri de rage
  • un concert punk ou hip hop ou hardcore ou autre...
  • une émeute
  • un mouvement des banlieues
  • un contre sommet anti G8
  • une école,un comissariat qui brûle
  • un graffiti
  • un tract enragé
  • un hurlement absurde

(dites le moi si je fait des amalgames)

on peut aussi se demander s'il est pertinent ou non de faire sortir le pus d'une blessure infectée ou si les esclaves feraient mieux de fermer leur geules plutôt que de politiser ou de mettre en commun leur "étrange sentiment de disconvenance"...

comme disait shakespeare:

"Tout est néant: La résignation est stérile et la révolte pareille à l'aboiement d'un chien fou."


NadIne : J'ai précisé au début : "tous les styles sont bon à prendre quand ils sont bien habités." (restons dans le domaine de l'écrit pour pas compliquer). Evidemment, après, il faut définir le "bien"...c'est là que l'évaluation intervient, celle des autres ou/et la sienne propre. Tu cites des formes qui expriment la rage : je n'évalue pas le fait d'avoir la rage, mais ce qui est écrit; ça pourrait être un conte, une analyse etc.peu importe.

Je ne pense pas que toutes les expressions se valent. Par contre, elles ont toutes légitimes, ou autrement dit, on a le droit de se planter.

(...)

Tiens, un bouquin qui parle de ça un peu : "C'est bizarre l'écriture" de Christiane Rochefort

Moi aussi j'aime bien les textes qui ont la rage; mais décidemment, non, j'arrive pas à apprécier le ton agressif; je n'ai jamais observé que ça m'amène à plus de punch dans mes actes, de me faire agressée, même verbalement.